De Brassempouy à la salle Piette

De Brassempouy à la salle Piette

Pour ceux qui ont rêvé en visitant la salle Piette et pour ceux qui n’y étaient pas, je publie à nouveau la deuxième partie de mes balades estivales publiées dans La Revue n°97.

……Reprenant ma balade à la recherche de frais ombrages, je quittai le béton pour mon sud-ouest natal, remontant doublement aux sources puisque mes pas m’amenèrent à Brassempouy, très joli petit village des Landes de Chalosse mais surtout haut-lieu de la préhistoire avec sa Maison de la Dame et son archéo-parc aménagé pour de régulières journées de la préhistoire (https://www.prehistoire-brassempouy.fr/). Ici fut découverte la grotte du Pape en 1880, et les fouilles entreprises mirent au jour plusieurs statuettes en ivoire de mammouth. C’est en 1894 que fut découverte notre célèbre Dame à la Capuche par Edouard Piette dont nous reparlerons. Ce gisement montre une rare séquence archéologique couvrant le paléolithique moyen et aussi le supérieur dont l’aurignacien et surtout le Gravettien qui nous a laissé 9 statuettes en ivoire dont la Dame à la Capuche, la plus ancienne représentation du visage humain connue à ce jour ; voilà pourquoi le nom de ce petit village est passé à la postérité. Un jeune archéologue fait visiter le petit musée en forme de mastaba où, bien entendu et hélas, ne sont montrés principalement que des moulages, les originaux ayant été déposés au musée de St Germain en Laye par leur découvreur.

 

 

La particularité de cette Dame vieille de 25.000 ans est qu’elle est la seule à ce jour à nous offrir seulement un visage (ce n’est pas un morceau de statuette), un petit visage de 3,6 cm, ô combien minutieusement travaillé : pas de bouche mais un menton pointu, un nez bien droit sous un large front, un visage gracieux et émouvant sur un cou élancé, et bien que les yeux soient absents on perçoit un regard énigmatique sous des arcades sourcilières habilement dessinées. C’est sa coiffure quadrillée, tresses ou capuche, encadrant parfaitement son visage harmonieux, qui lui a valu son nom. Sa finesse contraste avec les “vénus gravettiennes” aux formes plus qu’avantageuses comme la vénus de Lespugue ou la vénus de Willendorf que l’on a retrouvées du sud-ouest français jusqu’en Russie.

 

Je suis donc retournée dans la foulée la voir au musée de St Germain en Laye, dans la vitrine de la salle Piette dont elle est la vedette. Cette salle est un monument historique à elle seule, qui a été voulue par Edouard Piette, brillant archéologue amateur de la fin du XIXème siècle, “découvreur” de la Dame de Brassempouy, pour abriter toute sa collection qu’il a donnée au musée assorti de nombreuses conditions et obligations, les principales étant de sauvegarder l’intégralité de sa collection et d’empêcher le moindre objet d’en sortir même provisoirement. Nous sommes là dans une salle typique de musée du début du XXème siècle avec vitrines en chêne et tables-vitrines d’époque remplies de milliers d’objets.

Dans la masse des objets exposés, il en est un grand nombre d’une beauté sidérante qui pour certains me transportent devant des chefs-d’œuvre eskimo ou océaniens, ce fut pour moi une surprise que cette même émotion esthétique. En témoignent les deux objets ci-dessous dignes d’une vitrine d’art eskimo : Ce propulseur à la petite tête émouvante et, ce qui est peut-être un outil plutôt qu’un bâton de commandement.

 

 

… et ces 2 autres objets rappelant l’horreur du vide des sculptures maori.

 

 

La Préhistoire semble dans l’air du temps, me direz-vous… Ne pas hésiter à creuser la Préhistoire, de grands bonheurs vous attendent…

 J’ai terminé mes balades estivales, cette fois-ci sous de grands abats d’eau, à Bordeaux, dans un nouveau musée “Mer et Marine », où l’exposition Sempé en liberté m’a offert deux heures de plaisir entrecoupées de vrais fous rires, je vous laisse savourer :

« C’est très bon ce que vous faites, mais elle est très mal placée votre galerie…”

 

Légendes et Crédits photographiques

Photo 0 : Statuette figurant une tête de cheval hennissant, bois de renne. L=5,4cm ; l=2,9cm ; E=1,7c. Grotte du Mas d’Azil au Mas d’Azil (Ariège). Magdalénien moyen/supérieur vers -15 000/-11000 ans. Fouilles Edouard Piette, 1887-1894.

 Photos 10 et 11 : La Dame de Brassempouy, tête féminine dite la “dame à la capuche”. Ivoire de mammouth L.= 3,6cm ; l.=2cm ; E.=2,2cm, découverte dans la Grotte du Pape à Brassempouy (Landes), Gravettien, vers -29000/-22000 ans, Fouilles Edouard Piette, 1894-1897

Photo 12 : Les Vénus gravettiennes, du sud-ouest français à la Russie. In Brassempouy ou la matrice gravettienne de l’Europe par Aurélien Simonet. ERAUL 133 Liège

 Photo 13 : Musée d’archéologie nationale au château de Saint Germain en Laye. Une des vitrines-tables de la salle Piette présentant l’art mobilier de la grotte de Gourdan où l’on peut voir en entier le propulseur de la photo n° 14

Photo 14 : Propulseur sculpté figurant une tête humaine (?). Bois de renne, L.=28,2cm ; l.=1,9cm ; E=2,6 cm découvert dans la grotte de Gourdan à Gourdan-Polignan (Haute-Garonne), Magdalénien moyen, vers-15000/13000ans. Fouilles Edouard Piette, 1871-1875. On peut imaginer les deux cupules circulaires incrustées de matériaux matérialisant les yeux. Le propulseur entier est visible sur la photo 13

Photo 15 : Bâton percé sculpté figurant une tête d’oiseau (?), bois de renne. L.=18,4cm ; l.=5,7cm ; E.=1,5cm. Découvert dans la grotte d’Espalungue à Arudy (Pyrénées Atlantiques). Magdalénien moyen, vers-15000/13000 ans. Fouilles Ed. Piette, 1873-1888. Voici encore un objet complet, ce qui est rare. Cet outil “servait peut-être à redresser les pointes de sagaies, comme les redresseurs de pointes chez les Inuits, à fabriquer des cordes ou des vanneries, ou encore à tendre les couvertures en peau des habitations”.

Photo 16 : Baguette demi-ronde sculptée figurant des motifs spiralés, bois de renne, L.=8,1cm ; l.=1,7cm ; E.=0,9cm, découvert dans la grotte d’Espalungue à Arudy (Pyrénées Atlantiques). Magdalénien vers -17000/11000 ans. Fouilles Ed. Piette 1873-1888. Spirales et volutes avec festons incisées profondément. “Très riche motif d’ornementation correspondant sans doute à une diversité de significations” (Piette).

Photo 17 : Ivoire de mammouth gravé figurant des motifs géométriques. L.=8,1cm ; l.=2,1 cm ; E.= 0,5cm. Découvert dans l’abri classique de Laugerie-Basse aux Eyzies de Tayac (Dordogne). Magdalénien moyen vers -15000/13000 ans. Fouilles Louis Landesque, 1867-1868. Décor géométrique complexe, pas la moindre place laissée libre, à comparer avec la photo 16, “elle est tout aussi foisonnante, esthétique et fascinante”.

Toutes ces photos sont extraites du livre de Catherine Schwab sur la collection Piette, sauf le dessin des Venus gravettiennes du livre d’Aurélien Simonet.

Photo 18 : Dessin extrait de Sempé, itinéraire d’un dessinateur d’humour, catalogue de l’exposition Sempé en liberté.

 

                                                           Bibliographie

Aurélien Simonet, Brassempouy ou la matrice gravettienne de l’Europe, ERAUL 133 Liège

 Catherine Schwab, La Collection Piette, musée d’Archéologie nationale, château de Saint Germain en Laye, éditions RMN, MAN 2008.

Sempé itinéraire d’un dessinateur d’humour, catalogue de l’exposition Sempé en liberté, au musée Mer et marine à Bordeaux, été 2019. Editions Martine Gossieaux. Galerie Martine Gossieaux, 56 rue de l’Université 75007 Paris.