Qui donc a tué Topa Inca?

1 Inca Tupac

Carmen Bernand, membre de notre association, anthropologue et historienne spécialiste de l’Amérique latine et du 16è siècle, m’a donné pour notre blog un article sur le Pérou du début du 16è siècle d’une actualité toute virale.

Qui donc a tué Topa Inca?

Nous sommes en 1493, peut-être au début de 1494. La chronologie inca est basée sur le cycle lunaire, celle des Espagnols qui recueillent cette histoire se fonde encore sur le vieux calendrier Julien. Dans les deux cas il y a flottement. Les seuls capables de donner une date précise seraient les Mayas, mais ils ont, pour l’heure, leurs propres problèmes. Acceptons l’incertitude. Le fait est qu’autour de 1493, le grand Topa Inca meurt « de façon étrange ». Une mort peu ordinaire qui hante encore les témoins de l’époque qui le racontent aux premiers chroniqueurs-soldats espagnols. Le bruit court aussi qu’il aurait été « empoisonné ».
Rappelons que Topa Inca est probablement le plus grand des souverains de l’Empire péruvien. C’est lui qui a planté les bornes du territoire dans les confins du Nord et du Sud, de la Colombie méridionale au río Maule, en Araucanie. C’est toujours lui qui a bravé jaguars, couleuvres, sauvages emplumés, chaleur étouffante et moustiques pour poser des jalons dans le Piémont amazonien. C’est lui, enfin – et à ce titre il mérite quelque considération dans notre association -, qui aurait sillonné le Pacifique (appelé de son point de vue Mama Cocha, la mère de toute l’eau des lacs) avec une flottille de radeaux, d’où il aurait ramené des hommes noirs, un morceau de laiton, un cuir de « cheval » et autres babioles.
La mort de Topa Inca met en branle les lignages princiers, chacun cherchant à privilégier son candidat. Les peuples récemment conquis voient dans cette vacance de pouvoir l’occasion de reprendre les armes. Devant le danger, la sagesse l’emporte et Huayna Capac, son fils légitime, prend le llauto, une couronne faite de laines tressées d’où pend l’insigne royal.
Cet Inca est aussi un grand guerrier comme son père mais il a affaire à des soulèvements dans chaque province de l’Empire et passe sa vie à circuler d’un point à l’autre, avec ses armées. Imaginons les distances et le relief, sans compter les changements brutaux de température. Les chevaux n’existant pas, il faut faire toute cette route à pied, même si Lui, est porté par des serviteurs. Un jour (entre 1524 et 1526), après tout une série de présages sinistres qui mettent en scène des « nains » inquiétants, Huayna Capac tombe malade. La fièvre perturbe sa raison, les boutons suintants qui couvrent son visage le rendent hideux. De honte et de peur, il se confine dans un petit réduit en pierre, comme une tanière.  On lui arrache in extremis le nom de son descendant (il avait 4000 concubines de rangs différents), on le lui souffle à vrai dire. Il choisira Huascar. La suite de cette histoire ne nous concerne pas. Il suffira de rappeler qu’elle débouchera sur une guerre civile entre Huascar et son demi-frère Atahualpa, qui tombe à point nommé pour les conquistadores en 1532.
Comme vous le savez, un fait devient intéressant s’il a un précédant et ouvre une « série ».
Huayna Capac est mort d’un virus inconnu, celui de la variole, arrivé par les incursions des conquistadors sur le Pacifique. Alors, de quoi est mort Topa Inca ? Si l’on retient deux faits : la date de 1524 avancé par les gardiens de la mémoire, que sont les maîtres des quipus et la référence à une épidémie qui ravage le Cuzco avant l’arrivée des Espagnols, on peut avancer que son mal mystérieux était causé, lui aussi, par un virus. Evidemment, personne ne sait ce que ce mot signifie. Dès l’arrivée de Colomb en 1492 ces organismes infimes ont cherché de nouveaux hôtes. Car ils ignorent les frontières, contrairement à quelques de nos contemporains et s’embarquent avec les Indiens qui circulent régulièrement en barque entre la Caraïbe et le Continent ; ils se multiplient sur les côtes vénézuéliennes d’où ils repartent vers le sud, d’autres s’installent en Guyane, descendent jusqu’au Rio de la Plata, relayés par les Portugais et les Français (et oui…), et traversent les forêts et les savanes du Brésil jusqu’aux contreforts andins.
Bien entendu, on ne peut pas écarter que Topa Inca ait succombé à un autre type de mal, une hucha, une faute rituelle, mais cela n’expliquerait ni les hallucinations de son fils, ni ses boutons dégoûtants ni l’épidémie de Cuzco.  Les virus se sont épanouis tuant au passage de millions d’humains. Puis ils se sont installés durablement et reprennent du service à la faveur de l’inconséquence des hommes, qui croient que Dieu les protégera et que les vaccins sont nocifs à la santé.

PS : Les partisans d’Atahualpa sont entrés dans Cuzco avant les Espagnols et ont tué les partisans de Huascar, réfugiés dans la maison funéraire de Topa Inca. Sa momie fut détruite par le feu dans le but d’effacer sa mémoire de l’histoire. Dans le langage appauvri de notre époque on dirait que le malheureux Inca souffrit une « double peine ». Brûlés aussi, pour notre malheur, les trophées ramenés du Pacifique…

Carmen Bernand

 

 

Illustrations :
Image de titre: Tupac Inca (appelé aussi Yupanqui), huile sur toile XIXème siècle école de Cuzco, Pérou.
En bas : Tupac Inca Yupanqui  et Huayna Capac son fils, dessins de Felipe Guaman Poma de Ayala,dans Nouvelle chronique et bon gouvernement 1615.

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