J’étais tellement impatiente de vous proposer la suite du travail de Georges, toujours sur le confinement, que j’ai publié ce matin par erreur la 3ème partie de ses polémiques avant la deuxième, quelle incongruité, pardonnez-moi. Voici donc la 2ème partie très tchokwienne (?) de ses polémiques sur les masques et les confinements ailleurs que chez nous. Vous aurez à nouveau la troisième partie demain, pour que l’ordre soit enfin respecté dans ce blog.
Polémiques sur les masques.
Seconde partie : Les confinements de l’aire de la Mukanda
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Mukanda!
La Mukanda, c’est le confinement par excellence !
Un confinement inséparable de l’utilisation de masques.
Savoir-faire ancestral, expérience inoubliable… Les confinements ne sont pas simples !
Le schéma général est pourtant simple. Pendant quelques mois on rassemble en forêt une classe d’âge d’adolescents. Logés-nourris sur place. Le lieu (Mukanda) est plutôt retiré, voire secret. Des dignitaires masqués sont responsables de tout, en particulier de la formation (on dit initiation). Au programme : les armes, la chasse, les femmes, et plein d’autres choses très essentielles. Des choses qui ne nous regardent pas. Les adolescents découvrent que leurs tuteurs masqués sont en fait des humains. Les tuteurs en profitent pour les circoncire. Ils assurent la discipline (pas de confinement sans discipline stricte, c’est ainsi). Ils veillent à ce que les villages assurent le ravitaillement avec des procédures d’évitement et de distanciation sociale adéquates. Aucun droit de visite, évidemment. Ils apprennent aux initiés à fabriquer leurs propres masques.
Et après, on fait une fête à tout casser.
Retour au village, tambours et vin de palme. Aujourd’hui canettes de bière. On chahute les mères, tantes, sœurs et cousines. Lesquelles chahutent les dignitaires sous leurs masques. Lesquels ont des badines et coursent les impertinentes.
Lesquelles versent une larme émue devant ces fils qui essaient d’être insolents.
Et on danse mieux en Afrique que dans n’importe quelle partie du monde…
La Mukanda aurait une origine lointaine chez les Lunda.
Sa répartition géographique, immense, s’étend en terre bantoue sur le Nord-Est de l’Angola, le sud de la République Démocratique du Congo et le Nord-Ouest de la Zambie. Parmi les peuples concernés : les Chokwe, les Luvale (Lwena), les Luchazi, les Nkanu, les Yaka, les Suku, bien d’autres… Il existe autant de variantes que de peuples et chaque peuple a droit à ses propres variantes. Certains se demandent si, quel que soit le récit, il n’y aurait pas une variante qui lui correspondrait, mais c’est exagéré. Toutes ces variantes ont évolué. Chaque année on trouve matière à améliorer, à discuter. La Mukanda est-elle immortelle ?
Il semble que la modernité n’ait pas eu raison de l’institution. Les temps de confinement a été réduit à ceux des vacances scolaires, les vêtements ont évolué, les baskets sont bien commodes, mais la solidarité culturelle est intacte.
L’Unesco a classé au Patrimoine Mondial Immatériel la version zambienne de la Mukanda (sortie des Makishi). Celle-ci présente aujourd’hui un foisonnement de très nombreux personnages. Beaucoup trop à mon goût, mais on s’amuse sans doute plus ainsi.
De nombreuses vidéos sont disponibles sur le net. Parmi celles-ci ne ratez pas cette version zambienne très contemporaine : youtube.com/watch?v=o7ZW4Rbzajg.
Un peu long… Mais vous pouvez vous limiter aux minutes 6 et 9.
Costumes et objets de la Mukanda des Chokwe.
La Mukanda des Chokwe a été assez bien documentée, notamment par la remarquable Marie-Louise Bastin et par Manuel Jordán.
Il y eu quatre dignitaires principaux (fig. 5) au corps entièrement caché. Parmi eux Chikunza (fig. 6), avec son unique corne très grande et très grosse, était une autorité supérieure. Comme on pouvait toujours craindre que cette corne puisse contenir des substances inconnues redoutables, on passait au large, sait-on jamais. Ce dignitaire traditionnel angolais était sans doute bien différent de celui qu’on voit aujourd’hui danser si volontiers avec les jeunes filles de Zambie.
Fig. 5 – Chokwe. Dignitaires de la Mukanda : de gauche à droite, Chisuke, Chikunza, Kalelwa, et Chiheu. Angola, Dundo. (Archives MRAC).
Fig. 6 – Chokwe. Chikunza, Museu Nacional de Antropologia de Luanda. N°I.165
Chikunza était donc très respecté.
Il y a eu des sifflets à l’effigie de Chikunza (fig. 7). Ces sifflets pouvaient émettre trois notes et permettaient donc de communiquer à distance avec un langage simplifié convenu. On évoque la chasse, cette occupation première des guerriers Chokwe. On sait aussi que ces sifflets ont causé beaucoup de soucis aux collecteurs d’impôts, en faisant le vide devant eux. Mais on se doute bien qu’en sifflant Chikunza pouvait facilement donner ses instructions, réclamer la livraison de nourriture. Il semble confirmé que des procédures de dépôt de la nourriture en un lieu de rendez-vous permettaient d’éviter tout contact entre la Mukanda et le village.
On connait au moins une cuillère à l’effigie de Chikunza (Fig. 8). On imagine que lorsque le porteur de cette cuillère apparaissait dans le village il n’avait pas besoin de dire un mot. Les mères en retard devaient aussitôt se précipiter à leurs fourneaux.
En ces temps-là Chikunza ne rigolait pas.
Fig. 7 – Chokwe. Sifflet à tête de Chikunza. ©Musée Dapper
Fig. 8 – Cuillère à tête de Chikunza. Coll. Dintenfass et G.H.
Enfin une utilisation correcte de « distanciation sociale ». Parce que pour nous j’aurai préféré entendre parler de « distanciation physique ». Ceci en dit long sur notre société mais c’est un autre sujet.
Sinon texte très enlevé et excellent choix des illustrations. Merci.
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