
C’est avec plaisir que nous renouons avec les billets de Georges, qui nous fait voyager avec un couple chokwé de grande qualité. Comme toujours chez lui la recherche documentaire est ponctuée d’un sourire.
Mystérieux voyageurs Chokwe
On ne connaît pas la nature exacte de ces deux objets. Selon certains témoins qualifiés il s’agirait des esprits de Bonnie and Clyde, selon d’autres, tout aussi dignes de foi, il s’agirait de ceux de Gaston Lagaffe et M’oiselle Jeanne. On m’a aussi assuré qu’il s’agirait de moi-même et de mon épouse, ce que j’ai du mal à croire. En tant qu’ancien helléniste contrarié, selon l’une de mes multiples vocations anciennes, je penche pour Orphée et Eurydice. On a aussi envisagé Lweji, la princesse Lunda et Chibinda Ilunga, grand chasseur et fils de Kalala Ilunda, l’empereur Luba. Ces deux personnalités sont unies par l’inévitable mythe de toute grande dynastie qui se respecte et sont à l’origine de peuple Chokwe.
Mais il ne faut pas croire toutes ces interprétations. Chibinda Ilunga n’est jamais représenté sans sa fameuse coiffe-couronne, sans armes, ses effigies sont souvent accompagnées d’autres attributs, dont quelques descendants ou sujets obéissants sagement disposés sur son socle. Les autres personnages ont une carnation trop pâle pour être crédibles.
Selon la littérature, les Chokwe sont un peuple inspiré par la chasse, les expansions autoritaires chez les voisins, les bonnes manières des aristocrates, l’initiation de la Mukanda, les beaux objets, les masques impressionnants, les belles effigies, les belles gens, les trônes somptuaires et les petites figurines discrètes des cultes de première proximité. Les belles jeunes filles ont inspiré nombre de masques de toute beauté (mwana pwo). On dit que ce peuple pratiqua avec grand sérieux le commerce de n’importe quoi qui n’entre pas dans les critères occidentaux actuels du commerce équitable (ivoire, esclaves…).
On peut être sûr que nos mystérieux voyageurs sont des créations de ces ateliers Chokwe qui ont produit autrefois ces fameux trônes royaux ou princiers, historiés par tant de petites figurines qui nous décrivaient tout ce qui compte à la cour.
Peu de ces trônes ont survécu mais dans nombre de grands musées on trouve un de ces trônes princiers, parfois deux, rarement beaucoup plus.
Selon la puissance du prince détenteur du trône et selon l’état de ses finances, le trône aura une taille plus ou moins impressionnante, une quantité plus ou moins importante de figurines pour orner le dossier, les barreaux horizontaux et parfois les pieds. La qualité des sculptures des figurines sera plus ou moins grande, selon le talent du sculpteur que le commanditaire aura pu convoquer auprès de lui. Les tous premiers trônes étaient monoxyles mais bien vite les Chokwe ont produit des sièges assemblés à tenons et mortaises, ce qui a donné de plus grandes possibilités pour la mise ne scène d’un plus grand nombre de figurines, celles-ci étant sculptées en un bloc avec le dossier ou avec un barreau de chaise. Evoquant ces trônes, Marie-Louise Bastin nous informe que « c’est une création unique dans l’histoire de l’art universel » (Art et Mythologie. Fondation Dapper, 1988).

Sotheby’s a mis récemment en vente à Paris un des trônes parmi les plus spectaculaires qui aient été créés, en parfait état. Manuel Jordán nous donne dans le catalogue de la vente du 25 juin 2020 une description raisonnée précieuse concernant les multiples figurines qui sont disposées sur le dossier, les pieds, les barreaux.


On découvre que sous le siège, bien à l’abri, entouré de tout ce qui compte pour lui, se trouve l’heureux roi, avec deux épouses (?) et un enfant, une servante (?) qui verse la bière (?). Voir l’intimité royale, béate, oblige à s’agenouiller pour distinguer quelque chose entre les scènes sculptées sur les autres barreaux. Tandis que le dossier bien visible présente en position centrale Cihongo lui-même, à la ville masque suprême, qui ne peut être porté que par un fils du roi, percepteur de tribut et à l’occasion justicier, entouré de deux chefs, au-dessus de cinq personnages masqués Chikunza, pas moins,le plus puissant des masques qui veillent au bon déroulement de l’initiation.


Apparemment tous les trônes qui nous sont parvenus célèbrent un roi, un prince, un chef local. Tous racontent une ou des histoires à décrypter.
Il y a matière à une recherche savante (mémoire ou thèse) qui, à travers musées et continents, écrirait l’histoire de ce peuple artiste. Il suffit de parcourir le monde, d’obtenir un accès à tous ces différents trônes pour s’agenouiller devant eux, de photographier toutes les figurines, de bien documenter toutes ces scènes, d’interpréter tout ce beau monde. De quoi présenter un travail captivant à un jury et, en prime, publier un beau livre.
Reste à identifier la vocation de nos deux voyageurs. Un couple qui a la taille des figurines de trônes, figuré debout, sans ornement. Les deux têtes ont une patine d’usage bien plus affirmée que les corps, lesquels ont donc dû être vêtus, d’une manière ou d’une autre. Il est manifestement l’œuvre d’un sculpteur de grande habileté. Et aussi d’une indéniable sensibilité : la tête de l’homme est un peu plus massive, ses jambes sont plus puissantes, les bras féminins sont plus minces,… On pense plutôt à des objets protecteurs individuels.

Reste enfin à évoquer leurs voyages. On pense raisonnablement qu’ils sont partis d’Angola, sans doute au début du XXème siècle. Il aura fallu probablement qu’ils se rendent au Congo Belge, ce qui ne put être fait qu’à pied. De là ils auraient rejoint une première collection à Gand. Ils ont donc pris le bateau à Matadi qui aura fait escale dans tous les ports de l’Afrique occidentale puis aura passé l’Espagne et la France avant d’arriver en Belgique. De là ils auront franchi l’Atlantique pour rejoindre la collection d’un monsieur Tad Dale à Santa Fe au Nouveau Mexique. Puis, je ne m’explique pas exactement comment ils sont entrés dans la collection de Jaap Bongers qui réside au Botswana avant d’arriver dans l’offre de Tribalmania, galerie animée par Michael Auliso en Californie.
Mike Auliso me les a envoyés à partir de Half Moon Bay. Le petit paquet relevait du courrier suivi de l’US Postal Service et du courrier suivi de La Poste française (les informations de l’un et de l’autre n’étant pas tout à fait identiques). De là, escale à El Granada (Californie). Puis à San Francisco. Puis traversée du continent américain et pointage à New York. Puis Roissy. Selon USPS ils auraient séjourné très longuement à Paris. Selon La Poste ils auraient été arrêtés à Tremblay par la PIAC (Plate-forme d’Identification des Avoirs Criminels). Aucune information de ce qui leur était reproché. Selon le bureau de poste de mon quartier ils auraient été détenus un moment à Chelles on ne sait par quelle autorité. Puis ailleurs, je ne sais plus où. Quoi qu’il en soit après quelques semaines ils ont été refoulés via Roissy jusqu’à New York, puis retour en Californie. Là, Mike Auliso a constaté nombre de graffiti au gros marqueur noir sur le paquet. Il a donc refait le paquet. Puis, à nouveau, traversée du continent américain, de l’Atlantique, arrivée à Roissy, puis arrivée parmi les nouvelles copines de ma petite collection. Si on compte bien, dans leur vie, au moins quatre traversées de l’Atlantique, six traversées si elles ont fait le voyage au Botswana avec Jaap Bongers.
Bibliographie
Avant tout « Chokwe » de Boris Wastiau (éditions 5 Continents, dans la collection Visions d’Afrique). On ne trouve pas mieux en ce moment. En outre la bibliographie est remarquable.
On doit encore évoquer les écrits de Marie-Louise Bastin, la fameuse papesse de l’art Chokwe, et ne pas rater ceux de Manuel Jordán, qui a aussi rédigé la rubrique du catalogue de Sotheby’s.
Merci à Georges qui n’est rien sans Catherine et à Catherine qui fait ce qu’il est .
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Merci George pour ce billet, à la fois drôle et détaillé! Les deux voyageurs ont affronté le monstre de la Poste, ce n’est pas rien, indemnes. C’est magique. J’espère qu’ils le seront surtout pour toi dans ces moments difficiles et que leurs paroles et leurs herbes agiront rapidemen!
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Les pérégrinations de ton joli couple Chokwe m’ont rappelé celles du fétiche Arman que j’avais narré dans l’ouvrage du Centenaire – pardon, des Dix ans – de l’Association. L’Angola a connu de terribles vicissitudes et tous les objets en provenance de ce pays ont eu des trajectoires compliquées. Il en est de même d’ailleurs pour les objets Ibo sortis du Nigéria pendant la guerre du Biafra. .. Dans le cas de tes statuettes, ton acquisition leur aura permis de compléter un peu leur vécu itinérant. Attention cependant à la facture des Douanes. Elle arrive très longtemps après réception du colis. J’ai eu le cas récemment avec un objet acheté à Houston. L’avis des Douanes s’accompagne d’un commentaire qui débute par : « Vous ne vous attendiez peut-être pas à recevoir cette facture … ». Les douaniers ont le sens de l’humour.
Je te souhaite de profiter longtemps de ces charmants petits personnages.
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