L’Arâtî à Bénarès, hommage du Feu au Gange

Bénarès : Photos et texte de Jean-François Demont

[ Cet article, et les illustrations qui l’accompagnent, se réfère à une époque où personne n’avait encore entendu parler du virus couronné. La ville sainte, ainsi que l’Inde toute entière, ont été très durement touchées par la pandémie. Jamais, même aux périodes les plus noires de son histoire, la cité plurimillénaire n’avait connu pareille situation.
Aujourd’hui, les célèbres ghâts sont quasi déserts, les pèlerins se sont retrouvés pris au piège, les fêtes en l’honneur des divinités ont été écourtées et à Manikarnikâ, le ghât funéraire, les crémations censées mettre fin au cycle infernal des réincarnations sont passées de quatre cents par jour à moins de trente-cinq.
Il y a fort à parier que, dans les prières quotidiennes de ce peuple à la foi si fervente, on implore ardemment les dieux de chasser au plus vite le virus maudit. ]

Il faudrait, à un occidental, cent vies pour comprendre Bénarès.

On l’appelle à présent Vârânasî, car c’est là que les rivières Vâranâ et Asî (cette dernière à sec depuis bien longtemps) rejoignent Mâ Gangâ, la Mère Gange. Il est aussi vraisemblable que le nom de Bénarès ait été jugé trop longtemps prononcé par des lèvres anglo-saxonnes.
Plus loin dans le temps, elle s’appelait Kâshi, la Cité de Lumière, nom redevenu familier car même le Premier Ministre se réfère ainsi à la ville dans ses discours.

Shivâ, Dieu de la Fin et du Commencement, était le souverain de Kâshi. Il la sauva du déluge originel en la soulevant à la pointe de son trident. Les trois collines de la cité en sont encore le témoignage. Gangâ, la fougueuse déesse, avait décidé, en déversant ses flots célestes, de noyer le monde, mais elle se perdit dans l’abondante chevelure de Shivâ et ce n’est qu’une fois assagie qu’elle toucha finalement notre terre où les eaux divines ramenèrent la vie et répandirent leurs bienfaits. Depuis ces temps immémoriaux, le puissant fleuve, force vitale de l’Inde, a revêtu un caractère sacré : il purifie, il absout.

Bénarès-Vârânasî, cœur palpitant de l’Inde, ville sainte entre toutes, cité mythique aux deux mille temples et aux trois cent trente millions de divinités.

Le spectacle, au lever du soleil, de ces gens de tous âges et de toutes conditions, qui se livrent, en récitant des mantras dans le plus grand recueillement, à ces ablutions rituelles et codifiées sur les ghâts, ces marches de pierre qui vont se fondre dans l’eau du fleuve, est tout simplement fascinant.
Il est la vibrante manifestation d’un phénomène qui échappe à toute analyse : la Foi.

Tous les soirs, et ce depuis la nuit des temps, a lieu au soleil couchant au bord du Gange à Dashâshvamedh Ghât, que les occidentaux appellent plus commodément le Main Ghât, la belle cérémonie de l’Arâtî, l’hommage du Feu au fleuve sacré.
Elle attire chaque soir une foule dense et recueillie qui suit avec ferveur le rite liturgique perpétré en l’honneur de Gangâ.

Les officiants sont des brahmanes. Ils ont revêtu des tuniques de soie grège et safran et, devant leur autel, font face au fleuve.

Un son prolongé de conque, censé purifier l’air, annonce le début de la cérémonie.

Il arrive que des invités participent avec les officiants aux rites préliminaires qui consistent en offrandes au fleuve de fruits, de nourritures, de poudres rituelles colorées, d’encens et de guirlandes d’œillets orange. Elles seront suivies par le versement de lait ou de beurre clarifié dans l’eau sacrée.

Une musique envoûtante accompagne le rituel. Tous les sens sont sollicités. Les parfums des fleurs et de l’encens se mêlent à l’écho des gongs et des cloches qui couvrent les psalmodies védiques des officiants.

En Maîtres du Feu, les brahmanes-officiants ont saisi les pesants candélabres de cuivre en forme de naja et se tournent alternativement vers les quatre Orients.

Ils feront de même avec les lampes, pyramides de lumière que le Grand Prêtre aura préalablement allumées, par lesquelles Agni, Dieu du Feu et Prince des Lumières, transporte par sa danse les offrandes vers les Dieux.

Une lune nacrée éclaire la surface miroitante de l’eau où une multitude d’embarcations s’est assemblée pour assister à la célébration depuis le fleuve.

La ferveur de la foule est palpable.

Les épaisses volutes d’encens, le battement des gongs, les vibrations des conques, les lourds parfums, les incantations psalmodiées, tout contribue à faire de cette scène un moment extatique de communion avec le divin.

A la fin de la cérémonie, les brahmanes briseront une noix de coco, invitant par ce geste les divinités et la déesse Gangâ à partager le repas sacrificiel des nourritures consacrées.

Ces nourritures, devenues nourritures de grâce, les prasâdas, seront ensuite distribuées à l’assistance en signe de communion et de bénédiction.

Les volutes d’encens se dissiperont lentement dans l’air Chacun pourra alors approcher et vénérer l’effigie de la déesse, resplendissante sous ses multiples colliers de fleurs, et emporter un peu de l’eau du Gange, non sans avoir été au préalable aspergé par les officiants de cette eau sacrée.

Des centaines, voire des milliers de petites coupelles contenant des fleurs et une bougie allumée, chacune porteuse d’un vœu, seront alors déposées à la surface du fleuve divin. Elles vogueront un temps, formant sous l’éclairage de la lune, une éphémère et scintillante galaxie.

Quiconque a eu un soir la chance d’assister à la cérémonie de l’Arâtî en conserve à jamais le souvenir ancré dans sa mémoire.

Au petit matin, avant le lever du soleil, alors que l’air est encore frais, pèlerins, touristes et voyageurs de passage, prendront place à bord de petites embarcations pour être aux premières loges d’un spectacle grandiose : Sûrya, le Dieu Soleil, peintre démiurge, caressant de ses premiers rayons l’arc parfait des ghâts, restituant leurs couleurs aux innombrables palais et temples qui se bousculent sur la rive du fleuve sacré.

« Un opéra fastueux et millénaire orchestré par Shivâ pour la plaisir de l’œil et la délectation de l’âme. » (Pierre Toutain)

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