
Un nouvel envoi de Chantal Pasquet sur le Vanuatu, photographié par Martin et Osa Johnson en 1919 et par elle-même récemment. Chantal a la bonne idée de nous donner un lien vers un commentaire de Jean Rouch sur les méthodes des ethnographes d’avant-guerre, ne pas le manquer !
100 ANS APRES LES JOHNSON
L’Exposition de photographies « centenaire de Martin &Osa Johnson, juillet 1919-juillet 2019 » s’est tenue en marge du 4ème Festival National des Arts du Vanuatu.
En 1907, Martin Johnson (1884-1937) embarque sur le Snark de Jack et Charmian London, destination le Pacifique. Habile photographe, il repart en Océanie en 1917, puis en 1919 accompagné de son épouse Osa. Du nord de Malekula le couple rapporte de nombreuses photographies sur les tribus Big Nambas. Aux Etats-Unis leur film « Parmi les Cannibales des Mers du Sud » eut un succès considérable. Cependant, s’il faut replacer en contexte de l’époque la représentation, souvent fabriquée, évolutionniste et ethnocentrée, du naturel (quand on ne dit pas du sauvage) il n’en demeure pas moins que l’approche cinématographique des Johnson est brutale – voir l’interview de Jean Rouch « les chasseurs de tête » http://www.ina.fr/video/CPC7606916504
Aux clichés des Johnson j’ai voulu confronter quelques-uns des miens dans l’idée de percevoir un peu ce qui perdurait de la Kastom, ou s’était réinventé, ou encore avait totalement disparu cent ans plus tard.


A gauche un chef coutumier porte un pendentif de dents de cochon recourbées, signe d’une confrérie masculine basée sur la hiérarchie de grades. Lui fait face un chef de 2019, aussi élevé dans la hiérarchie semble-t-il si l’on en juge par la taille et l’enroulement des dents de cochon pendues à son cou. Si tous deux portent la ceinture en écorce qui maintient l’étui pénien de fibres, ce qui les différencie sans aucun doute est le nombre de cochons sacrifiés lors du rituel nécessaire à ce niveau de prise de grade. Les anthropologues contemporains du chef photographié par les Johnson rapportent des tueries de plusieurs centaines de cochons (l’un d’entre eux, dont je ne retrouve pas le nom, en mentionne deux mille..) aujourd’hui ce chiffre est divisé par dix, vingt, voire plus, tant pour des raisons financières que d’évolution des coutumes.
De 1914 à 1915, l’anthropologue anglais John Layard séjourne dans les Small Islands, ilots, du nord-est de Malekula, principalement Atchin et Vao où il rencontre le chef coutumier Tethlong Maturu, photographié ici à gauche en 1919, portant une ceinture d’écorce recouverte de tapa blanchi à la chaux (coquillages brulés) maintenue par une double ceinture, dont une en cuir, style militaire très apprécié des hommes d’influence ni-van. Selon Layard ce chef héréditaire a été un informateur de première classe.


À droite Vianey Atpatoun, petit-fils de Maturu par sa mère, a joué un rôle important dans la préservation de la culture traditionnelle. Ancien curateur du centre culturel de Malekula, il a été longtemps collecteur de terrain pour le compte du Centre Culturel de Port-Vila à Efate, VCC, avec pour mission de recueillir les coutumes, rites et mythes, en voie de disparition dans la province de Malampa (Malekula Ambrym et Paama). Je reviendrai prochainement sur Tethlong Maturu et Vianey Atpatoun.

Les femmes Big Nambas du nord-ouest de Malekula portaient des sortes de capuches, nambwe, nattées en fibres de pandanus, La natte est repliée en plusieurs épaisseurs disposées sur l’avant de la tête, laissant pendre la touffe de fibres vers l’arrière. Afin de bien les conserver les femmes les enfumaient pendues aux poutres de leurs cases. Les nattes de tête et les jupes nattes, servaient également de monnaie d’échange, La teinture rouge carmin d’origine végétale (feuilles de ni) était troquée avec Malo, contre cochons à dents et ignames. Aujourd’hui si la forme perdure les teintures industrielles sont passées par là !
Tom Harrisson dans son ouvrage de 1937 « Savage Civilisation » précise « …ces coiffures sont portées après les rites de passage de grade. Les porteuses de ces coiffures sont les épouses des hommes qui ont tué les cochons. Elles les portent pendant deux ou trois ans, nuit et jour. C’est un tabou de deuil, comme si quelqu’un était mort, en l’occurrence il s’agit de la mort et de la résurrection du cochon. Après la fin du tabou, une grande fête de l’igname est organisée avec des danses coutumières et une tuerie de cochons… »

Les îles de la côte nord-est de Malekula ont une culture mégalithique importante liée au rituel très complexe du « Maki », rite propitiatoire, prophylactique et social, qui prépare à l’éternité, prévient la dévoration par l’esprit malin, Le-Hev-Hev, et protège de la colère des ancêtres. On peut mesurer la complexité et le coût d’un cycle complet du Maki pratiqué fin XIXème début du XXème siècle : le « bas Maki » se poursuivait sur cinq à six ans, et le « haut Maki » avec des rites plus nombreux et plus imposants sur sept à huit ans. Aux importantes tueries de cochons s’ajoutaient la disponibilité de quantités phénoménales d’ignames pour les échanges et pour alimenter les participants aux cérémonies, le paiement de dettes coutumières, le règlement des copyrights sur les chants, les danses, l’édification des tambours et des mégalithes, etc…
Les places de danse actuelles en gardent trace : pierres dressées comme marqueurs généalogiques, dolmens funéraires, plates-formes de corail servant de tables sacrificielles pour les tueries de cochons, caves au creux des banians où se déroulaient les rites anthropophagiques …

A Wala, situé à environ 4 miles marins d’Atchin, l’aire cérémonielle n’est plus active. Cependant, en 2011 le chef coutumier a obtenu l’autorisation de l’église catholique de réhabiliter un site – enfoui au plus profond de la brousse il avait en son temps échappé aux fureurs missionnaires – dans le but de dispenser une instruction coutumière aux enfants. Beaucoup de villages de l’archipel ont mis en place un dispositif similaire de « mémoire des traditions ».


Quant aux tambours, ils sont redressés pour les festivités villageoises et touristiques. Gravés en creux le visage est orné de motif de frondes de fougères enroulées. On ne peut manquer de noter la sécheresse de la sculpture contemporaine,
« ‘L’anthropologie est moins la science de la nature humaine que l’étude des dommages causés par une partie de l’humanité à une autre (et aussi à toute l’humanité »).
Alban Bensa, Avant-propos in Le Temps & les Autres, Johannes Fabian
Crédits photos : en noir et blanc © Osa & Martin Johnson, en couleurs © l’auteure.
Un article passionnant ! Merci !
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Merci de ton indéfectible bienveillance !
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Captivant ! Merci pour cet article !
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Merci Amélie, en espérant pouvoir à nouveau et très bientôt reparler de tout cela de vive voix
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