
NOTE SUR LES MASQUES DE NUO
Par Yves Créhalet, auteur de l’ouvrage « Le Masque de la Chine » (ed. Actes Sud, 2007) et commissaire de l’exposition « Masques de Chine, la même année au Musée Jaquemart-André, Paris.
Les masques de Nuo sont le support d’un très ancien culte d’exorcisme (Nuo signifie « chasser les démons de la maison ») qui remonte aux temps néolithiques, et constitue le fondement de la religion populaire chinoise, d’essence chamanique. Le taoïsme s’y est ensuite glissé, le prêtre taoïste se substituant au chaman pour faire descendre les esprits néfastes, et les incarner dans les masques pour les rendre propices. Des représentations en témoignent dès l’âge de bronze, mais les oeuvres de bois ont évidemment disparu. Parmi les rares masques qui nous sont parvenus, confiés à des voyageurs occidentaux comme on jette une bouteille à la mer, certains peuvent remonter au XVI ° siècle ; mais pas plus tard que la Révolution Culturelle, 1966-1976, qui les a éradiqués. Dans les années 2000, les cérémonies ont pu reprendre doucement dans les villages des minorités montagnardes au sud du Yang-tse-kiang, mais le savoir faire était perdu. Aux temps originels du culte, les masques représentaient des personnages démoniaques, comme Leigong, le dieu du tonnerre, ou Kaishan, le dieu qui ouvre les montagnes. Ou des bêtes hybrides, comme le cochon-tigre (le cochon représente la prospérité, le tigre est avaleur de démons) Puis des personnages historiques ont rejoint le panthéon, comme Guan-Yu, héros de la guerre des trois royaumes à la fin des Han, devenu dieu de la guerre ; ou Mademoiselle avant-garde, dite phénix immortel, qui libéra son district des brigands dont son frère était le chef. Puis, avec l’urbanisation du temps des Song au X° siècle, le culte se laïcise un peu, et ajoute à ses acteurs des personnages de comédie dell’arte : Gansheng, l’étudiant lettré, son valet, le bouffon Qingtong, le moine Heshang, Maître Jiang, le professeur victime d’un corbeau, Qiu Gupo, la commère jalouse…Deux personnages sont centraux : Tudi Gong, le dieu de la terre, et Kailu, le chaman qui mène le cortège des masques dans tout le village. La chasse au petit démon, qui aura ainsi mobilisé des masques divers, de redoutables esprits apprivoisés, de prestigieux héros et des personnages de comédie, se déroule sur trois jours d’épreuves, de performances et de réjouissances, et prépare la paix et la salubrité du village.
Yves Créhalet me signale que ces masques font partie de la vente des Civilisations chez Herbelin à Chinon ce mercredi 14 décembre.








